Publication du rapport sur la résilience nationale
Le 30 juin 2021 était créée la mission d’information sur la Résilience nationale, et j’en étais désigné secrétaire. La création de cette mission s’est inscrite dans la lignée de la crise du Covid-19, qui a révélé un certain nombre de faiblesses françaises et européennes du point de vue de notre autonomie stratégique.
Une des hypothèses de notre travail a donc été de considérer la crise sanitaire comme une sorte d’avertissement, de prévisualisation de crises de bien plus grande ampleur, susceptibles d’ébranler plus fortement encore la nation, au risque de la plonger dans le chaos.
Une autre hypothèse de travail était de considérer que la résilience de notre pays a été fragilisée, en particulier depuis une trentaine d’années, comme en témoigne notre trop forte dépendance à des pays comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis en ce qui concerne certains domaines fondamentaux tels que la santé, les nouvelles technologies, l’industrie, la sécurité.
Au cours des huit derniers mois, nous avons entendu plus de 120 personnes au cours des 63 auditions menées, à commencer par les représentants de tous les services, directions et opérateurs de l’État et des armées participant à la prévision, à la prévention et à la gestion des crises.
Le 23 février 2022, nous avons présenté notre rapport qui comporte 51 recommandations et que je vous invite à découvrir dans son intégralité ici.
Le rapport de la mission d’information sur la résilience nationale se compose de trois parties :
– Le I liste les risques de tous types auxquels la nation sera confrontée dans le futur et définit ce qui devra être la résilience nationale dans ce contexte ;
– Le II inventorie les atouts et vulnérabilités de la France au regard de cette exigence de résilience ;
– Le III propose différents axes pour construire une stratégie de résilience nationale appuyées sur les citoyens, et formule plusieurs recommandations.
Plusieurs de ces recommandations, de nature législative, pourraient faire l’objet, au début de la prochaine législature, d’un projet de loi Engagement et résilience de la nation.
Le rapport souligne aussi que la stratégie de résilience ainsi décrite pourrait être à l’origine de nombreuses externalités positives. Elle permet de renforcer la cohésion sociale, par le développement de la conscience commune des risques, par la valorisation de l’engagement citoyen et des solidarités collectives, par la redéfinition d’objectifs partagés. Elle joue également un rôle dissuasif à l’égard de compétiteurs stratégiques, qui seraient moins enclins à orienter contre nous leurs stratégies de déstabilisation, sachant la société préparée pour y faire face.
Le rapport propose donc des axes d’effort pour une France libre, unie et prospère dans un monde incertain.
Chaque Député était également libre de contribuer sous forme de témoignage personnel rédigé et intégré à la fin du rapport.
Vous trouverez ci-dessous ma contribution :
« Si la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a révélé l’impérieuse nécessité de renforcer nos capacités de résilience, elle a aussi apporté la preuve que l’union des pays européens et la mutualisation de leurs forces étaient une réponse pertinente et puissante aux problématiques ainsi soulevées. En choisissant de commander de façon groupée les vaccins puis de les répartir de manière équitable, l’Union européenne a en effet opéré un choix politique fort et inédit, conforme à ses valeurs, à même d’assurer un haut niveau de protection à la population européenne.
Deux ans après la début de cette crise sanitaire, le monde contemporain a rarement semblé aussi instable et imprévisible. Au moment de l’adoption de ce rapport et après plusieurs mois de montée des tensions, des troupes russes ont commencé à pénétrer sur le sol ukrainien, rappelant à l’Europe que le risque d’un conflit armé sur son territoire n’a pas disparu. Les tensions sino-américaines atteignent elles aussi un niveau inégalé qui font craindre pour la stabilité et la sécurité mondiales, en particulier dans certaines zones telles que l’indopacifique. Sur le terrain de l’économie et du commerce, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement font craindre des pénuries à moyen voire long termes dans certains secteurs stratégiques, tout en faisant ressurgir le spectre de l’inflation. Nos flux de marchandises ainsi que notre balance commerciale en subissent les conséquences depuis plusieurs mois déjà, les Douanes relevant par exemple que sur l’année 2021 nos importations, bien que n’ayant augmenté que de 2,6 % en volume, se sont accrues de 20,1 % en valeur. Le risque terroriste, enfin, persiste et devient une menace structurant notre vie sociale, nos choix politiques et nos comportements collectifs.
Face à une telle multiplication des risques et des menaces, face à leur diversité et leur gravité, l’approfondissement de l’unité européenne apparaît plus que jamais comme une nécessité pour renforcer notre résilience. Le présent rapport, axé sur la notion de résilience nationale, n’en fait logiquement pas le centre de son développement, mais l’aborde tout de même à plusieurs reprises. Il insiste notamment sur la pertinence de l’échelon européen pour traiter certaines problématiques telles que la répartition des stocks stratégiques, la création d’un cloud souverain ou encore la sécurisation des approvisionnements en terres rares.
D’autres recommandations mériteraient d’être extrapolées à l’échelle européenne. La réalisation d’une revue stratégique de nos vulnérabilités et de nos dépendances actuelles et futures n’aura ainsi que plus de pertinence si elle s’inscrit dans une démarche européenne coordonnée, préalable à un plan d’action commun pour y remédier. Il en va de même à propos de l’évaluation des capacités de résistance de nos forces armées à un engagement majeur, ou de l’élaboration d’un plan de défense totale envisageant la survenance d’une crise sécuritaire d’importance. La réponse européenne sera d’autant plus pertinente que comme le développe le rapporteur Thomas Gassilloud, les menaces contemporaines s’affranchissent de plus en plus des frontières et ne se limitent pas aux acteurs traditionnels des relations internationales.
Au-delà de ces quelques exemples, il importe que ce « réflexe européen » se généralise autant que possible, bien qu’il doive également s’accorder avec le non moins essentiel principe de subsidiarité. Dans un grand nombre de domaines, en politique intérieur comme dans nos relations internationales, les européens gagneront à s’entendre et à agir ensemble. Résilience nationale et résilience européenne ne peuvent être dissociées.
Cela est d’abord vrai dans le domaine économique et commercial. Comme évoqué précédemment, les événements des dernières années ont révélé notre extrême dépendance pour notre approvisionnement en certains bien et services, y compris stratégiques : terres rares, semi-conducteurs, principes pharmaceutiques actifs, matériaux de construction ou encore batteries. Le marché unique constitue pourtant un instrument puissant à disposition des pays européens, qui doit être mis au service de nos ambitions stratégiques et de notre résilience. La réciprocité dans l’accès aux différents marchés, la prise en compte des externalités environnementales, la protection des secteurs stratégiques ou encore la lutte contre les subventions déloyales sont autant de mesures qui doivent être mobilisées en ce sens. Si une stratégie industrielle pour l’Europe, notamment basée sur la diversification de nos partenariats internationaux, la mutualisation des investissements et la multiplication des projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC), a d’ores est déjà vu le jour, cette logique doit être systématisée dès lors que l’échelle européenne apparaît la plus à même de renforcer notre résilience économique.
Ce constat vaut également pour notre monnaie commune, l’euro. Alors que la capacité du multilatéralisme à résoudre les différends internationaux s’amenuise, que l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends de l’OMC est paralysé depuis deux ans et que les mesures de rétorsion commerciale se développent sans cadre commun, l’euro ne peut se contenter de jouer le rôle passif de simple monnaie. Il doit au contraire devenir un instrument au service de notre résilience, garant de notre souveraineté monétaire comme de notre capacité de projection à l’international. Il est notamment primordial d’accroître le recours à l’euro dans les transactions internationales, afin de contrebalancer l’hégémonie du dollar et de contrer la menace que représente l’extraterritorialité de certaines législations étrangères. Notons à ce titre la capacité des autorités américaines à imposer des sanctions économiques à tout acteur, américain ou étranger, du moment qu’il recourt au dollar dans une transaction. Si ces sanctions prennent le plus souvent la forme d’amendes, leur montant ainsi que leur caractère systématique peuvent in fine conduire à restreindre drastiquement à nos entreprises l’accès à certains marchés et à fausser la concurrence mondiale, à notre désavantage. Il est donc indispensable de renforcer la place de l’euro dans le système économique international, afin de préserver tant l’autonomie dont nous disposons sur notre territoire que notre liberté d’action au sein du commerce international.
Sujet particulièrement sensible au sein de l’Union européenne, tant au regard de l’histoire récente de notre continent que des alliances actuellement en vigueur, la construction d’une Europe de la Défense n’en demeure pas moins une composante clé de notre souveraineté et de notre résilience pour l’avenir. La crise des sous-marins liée au partenariat AUKUS, ou encore les tensions en cours en Ukraine et l’incapacité des pays européens à s’immiscer dans le dialogue russo-américain, l’illustrent cruellement. Des initiatives ont été prises en la matière, notamment en ce qui concerne nos industries de défense, mais l’horizon d’une véritable autonomie stratégique et militaire apparaît encore lointain. Principale puissance militaire européenne et moteur de cette démarche, la France doit poursuivre ce travail de conviction de ses partenaires, en mettant notamment à profit la Présidence Française de l’Union européenne pour y parvenir. Long et semé d’embuches, ce travail apparaît pourtant crucial à l’heure où des nombreux États accroissent leurs capacités militaires et que le multilatéralisme n’a jamais semblé aussi affaibli depuis l’après-guerre.
Ce dernier constat implique enfin un nécessaire renforcement des capacités diplomatiques de l’Union européenne. Pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment, il apparaît de plus en plus évident que des pays de taille moyenne comme le sont les États européens voient leur poids diplomatique s’amenuiser à mesure que les pays émergents poursuivent leur développement économique et réclament sur la scène internationale une voix à la mesure de leur nouvelle puissance. La nouveauté, cependant, réside dans le fait que ces pays ne souhaitent pas uniquement s’insérer dans ce système multilatéral, mais également le remodeler afin de le rendre plus en phase avec leurs intérêts, leurs modes de pensée et leurs valeurs. Ainsi la Commission européenne a-t-elle défini la Chine, dans son désormais célèbre triptyque gouvernant nos relations avec ce pays, non seulement comme un partenaire et un concurrent économique, mais également comme un rival systémique. Dès lors, la résilience des sociétés européennes, de notre mode de gouvernance ainsi que de nos intérêts et valeurs, passera par cette capacité à peser dans les instances diplomatiques internationales et à influencer l’architecture du multilatéralisme de demain comme les normes qui en résulteront.
Ce n’est qu’au prix de cette unité de vue, ardue mais indispensable, que la France et l’Europe parviendront à assurer de manière durable la résilience et la vitalité de leurs structures politiques, économiques et sociales. Au moment où l’actualité nous fait prendre conscience, parfois cruellement, de la pertinence du concept de résilience nationale, il nous faut également avoir à l’esprit que celle-ci ne se réalisera pleinement que dans le cadre d’une ambition européenne partagée. »